Souheil Ben Barka / سهيل بن بركة


Image de couverture Souheil Ben Barka / سهيل بن بركة

Souheil Ben Barka : Le cinéma marocain en « grand format » : Un cinéaste formé au cinéma par l'Italie : Souheil Ben Barka, de nationalité marocaine et malienne, est né le 25 décembre 1942 à Tombouctou. Son père est un commerçant marocain, originaire de Goulimine dans le sud du Maroc, ayant toujours vécu au Mali, et sa mère est une Libanaise chrétienne. Souheil Ben Barka quitte le Mali pour poursuivre des études supérieures à Rome. Il y obtient son baccalauréat avant d’intégrer les classes préparatoires au parcours Math sup Math spé. En parallèle de ses études, il est pigiste pour le magazine Afrique Action, qui deviendra plus tard Jeune Afrique. Sa rencontre avec le cinéma a eu lieu en Italie en 1962 : « Un jour, alors que j’étais dans un bus, j’ai vu des lumières assez surréalistes sortir d’une galerie et je suis descendu voir. C’était le tournage d’une des scènes de Huit et demi de Federico Fellini. À l’époque, je ne connaissais ni le réalisateur ni Marcelo Mastroianni, mais j’étais convaincu qu’il fallait que je fasse des films. Pour intégrer le Centre expérimental du cinéma de Rome, je devais d’abord obtenir une licence. Je me suis donc inscrit à la faculté, en sociologie et journalisme. Mon diplôme en poche, j’ai intégré l’école de cinéma. A mon neuvième mois, j’ai reçu un coup de fil de Bernardo Bertolucci m’annonçant que Paolo Pasolini voulait me voir, car il allait tourner Œdipe Roi (sorti en 1967) au Maroc. ». Pendant le tournage à Ouarzazate, qui fût la première expérience de Souheil Ben Barka dans la fabrication d’un film d’envergure, il s’occupait de l’actrice Silviana Mangano, et les trajets entre Casablanca et Ouarzazate étaient compliqués par l’état de la route : « Quand Sa Majesté Hassan II m’a nommé des années plus tard à la tête du CCM, il m’a demandé : “Comment vois-tu le développement du cinéma ?”, je lui ai répondu tout de go : “Par un aéroport international à Ouarzazate” ! » En Italie, il travaillera également entre 1966 et 1969 en tant que journaliste pour le compte de l’agence de presse ACIGRAF à Milan, et signera des documentaires pour la télévision RAI. Il saisira ensuite une opportunité professionnelle pour retourner au Maroc et entamer une carrière de réalisateur qui durera près de quarante ans, avec la réalisation de 8 longs métrages, une dizaine de documentaires et plus de 200 films publicitaires : « Au début des années 1970, j’ai été approché par une société d’agroalimentaire. Ils m’ont proposé de m’installer au Maroc. J’avais posé une seule condition : pouvoir réaliser mon premier long-métrage. Ils ont accepté et m’ont même aidé financièrement pour LES MILLE ET UNE MAINS. Au bout de trois ans, j’ai arrêté de travailler avec eux pour me consacrer pleinement au cinéma. » Des productions de grande envergure au service de l’humanisme : LES MILLE ET UNE MAINS (1974), premier long-métrage ainsi réalisé par Souheil Ben Barka, oppose les ouvriers teinturiers (hommes, femmes et enfants), aux commerçants prospères de tapis qui exploitent leur travail moyennant des salaires de misère. Avec ce premier film, Souheil Ben Barka pose d’emblée un nouveau modèle de production au Maroc, d’une ambition sans précédent. Le film est une co-production marocaine d’envergure et sera distribué dans près de 115 pays. L’année suivante suit LA GUERRE DU PETROLE N’AURA PAS LIEU (1975), un film qui pousse encore plus loin la recherche stylistique de Souheil Ben Barka, toujours au service de la dénonciation d’inégalités sociales systémiques. Le récit se déroule dans un pays non identifié. Alors qu’une entreprise américaine s’apprête à investir dans la recherche du pétrole, un jeune homme intègre et idéaliste accède à un poste de ministre et dénonce une corruption systémique, alors que des grèves dans les raffineries déjà existantes sont violemment réprimées. Le film fera l’objet d’une interdiction à la suite de pressions de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Ben Barka est depuis ces deux premiers films considéré comme un cinéaste très engagé, réputation qu’il conservera avec ses films suivants. Son style particulier, qui mêle lyrisme et conscience politique, est alors déjà bien établi, comme le note Louis Marcorelles dans un article paru dans le journal Le Monde en 1975 : « Avec des couleurs chaudes, dans un style raffiné, aux limites de la préciosité, Souheil Ben Barka, en même temps qu'il dénonce, veut créer une sorte de poème visuel. La forme doit commander au message [A propos de Mille et Une Mains]. […] La guerre du pétrole n'aura pas lieu, le second film de Ben Barka, va dans la même direction, avec des moyens plus considérables, mais surtout avec un scénario plus élaboré (collaboration de Michel Constantin, professeur français établi au Maroc) et une mise en scène mieux équilibrée. Girolamo Larosa, l'opérateur italien déjà remarqué dans Mille et une mains, a, à nouveau, photographié, en couleurs et cinémascope, avec une grande force expressive, le décor naturel (raffineries de pétrole, paysages), et plus encore les visages d'ouvriers de femmes et d'enfants marocains, "composés" avec une rigueur plastique digne des meilleurs transalpins. […] Souheil Ben Barka structure son récit selon un principe d'alternance - courtes scènes pour les traficotages politiques et économiques, amples périodes lyriques entrecoupées de silences - avec de lents mouvements de caméra pour les ouvriers en révolte. » Son film suivant, NOCES DE SANG (1977) est une adaptation de la pièce de théâtre homonyme de Federico García Lorca, transposée dans le sud marocain, où deux clans familiaux opposés par une vieille querelle d'intérêt se retrouvent face à face à l'occasion d'un mariage arrangé. En 1983, Souheil Ben Barka réalise AMOK !, son film le plus célèbre, qui retrace l’histoire d’une famille sud-africaine dans le contexte de l’apartheid, alors que sévit une violente répression des noirs qui luttent pour l’égalité. La genèse du film est encore une fois liée au réalisateur Paolo Pasolini : « Un jour, j’ai accompagné Pasolini à Madagascar pour présenter Œdipe Roi. De Rome, on a pris un vol de la South African Airways. Une fois dans l’avion, nous avons été contraints de nous séparer à cause de notre couleur de peau. Pasolini a fait un scandale, mais on a dû coopérer avec les lois ségrégationnistes. Une fois à Johannesburg, on m’a encore une fois expliqué que je ne pouvais pas entrer dans la ville à cause de ma couleur de peau. Je devais donc passer la nuit à l’aéroport avant de reprendre la route le lendemain pour Antananarivo. Toute l’équipe a décidé de rester à l’aéroport par solidarité et Pasolini m’a dit : “Il faut que tu fasses un film sur l’Afrique du Sud, je t’aiderai”. Quand j’ai appris sa mort en 1975, je me suis décidé à le faire, en m’inspirant de Pleure, ô pays bien-aimé de l’écrivain sud-africain Alan Paton. ». Souheil Ben Barka obtiendra l’aide du président de la Guinée Sékou Touré et du roi du Maroc Hassan II pour financer le film. Pour y jouer l’un des rôles principaux et en composer la musique, il pense à la diva et activiste sud-africaine Miriam Makeba, déjà rencontrée lors d’un concert qu’elle avait donné au Mali tout nouvellement indépendant. Alors qu’il a enfin réuni les financements nécessaires pour le film, il profite du fait qu’elle se produit à Tanger pour aller à sa rencontre et lui proposer de collaborer au film. AMOK ! obtiendra le prestigieux Prix d’Or au festival international du film de Moscou, et vaudra à Souheil Ben Barka de rencontrer Mikhaïl Gorbatchev qui a apprécié le film. Ils resteront en contact et en 1990, il sera invité à son investiture au Kremlin aux côté de seulement deux autres personnalités du cinéma : Henry Fonda et Sergio Leone. En 1990, Souheil Ben Barka réalise son premier film historique, LES CAVALIERS DE LA GLOIRE. C’est le récit au 16ème siècle des aventures du prince saadien Abdelmalek. Chassé de son pays par ses propres frères, il doit subir les agressions des inquisiteurs espagnols, des despotes tunisiens et du roi du Portugal. Le film est une co-production internationale qui réunit l’Union soviétique, l’Espagne, l’Italie et le Maroc. Parmi les acteurs internationaux figurent Claudia Cardinale et Harvey Keitel. Suivra en 1996 L'OMBRE DU PHARAON. Bien qu’il s’agisse d’un péplum dont l’histoire, fictive, se déroule dans l’Egypte antique, le film dénonce là encore la corruption, la dictature et l’obscurantisme, faisant écho aux dangers de l’époque contemporaine, certains y voyant même un constat critique du pouvoir égyptien : Le Pharaon Amnophis III, miné par la maladie et obsédé par la survivance de sa lignée, tombe sous l’influence d’un vizir corrompu et d’un prêtre fanatique et xénophobe, jusqu’à ce que surgisse l’espoir d’un destin plus éclairé pour l’Egypte sous les traits d’un jeune scribe divinateur. Suivra LES AMANTS DE MOGADOR, en 2002, dont le scénario a été co-écrit avec le cinéaste français Bernard Stora. Le film, fortement inspiré de l’histoire des parents de Ben Barka, relate l’amour et le mariage contrariés entre un rebelle marocain et une Française dans la ville de Mogador (qui deviendra Essaouira), au début du 20è siècle, alors que le Maroc est sous domination coloniale française.  DE SABLE ET DE FEU (2019) est le dernier film de Souheil Ben Barka et son deuxième film historique. Il relate, entre 1802 et 1818, le destin peu connu de Domingo Badia, un érudit et agent secret espagnol chargé de renverser le Sultan du Maroc en se faisant passer pour un prince abbasside du nom de Ali Bey. Souheil Ben Barka et son scénariste (de nouveau Bernard Stora) passent trois ans à écrire le scénario avec la tâche difficile de sélectionner les épisodes de la riche vie de l’espion qu’ils retiendront pour le film. Ils choisissent de s’attarder sur les épisodes qui décrivent le mieux la complexité des relations entre Orient et Occident, complexité d’autant plus fascinante qu’elles semble persister dans notre époque contemporaine. Le film relate en particulier l’histoire d’amour de Badia avec une aristocrate et aventurière anglaise qui partira pour le Proche-Orient et sera proclamée « reine de Palmyre », missionnaire d’un Islam intégriste. Le film est une co-production marocaine, italienne et espagnole, tourné au Maroc (pour la partie du récit qui se déroule au Maroc et en Syrie), au Royaume-Uni, et en Italie (pour la partie qui se déroule en Espagne), avec des acteurs marocains, italiens et espagnols. Son budget de 8 millions d’euros, dont 10% financé par le CCM, est un record au Maroc. Souheil Ben Barka appellera à relativiser ce budget : « Le film aurait coûté bien plus cher, près de 20 millions d’euros, s’il avait été produit entièrement en Europe ». Le film sera doublé en anglais, français, franco-marocain (pour le Maroc), italien et espagnol pour être distribué dans près de 40 pays, en ciblant particulièrement les pays co-producteurs (Italie et Espagne), ainsi que le Moyen-Orient et l’Amérique Latine. Le film impressionne par la qualité de sa réalisation, ses costumes, ses décors et ses scènes de combat, et permet à beaucoup de découvrir le personnage méconnu de Badia, perçu comme un Lawrence d’Arabie 80 ans avant l’heure. Souheil Ben Barka réfutera toutefois toute inspiration du film, soulignant les différences de fond entre les deux personnages. Il reconnaît toutefois un vif intérêt pour les personnages historiques dont le destin aventurier est entremêlé avec la grande Histoire. Il était d’ailleurs sur le point de commencer à travailler sur un film sur Léon l’Africain, le célèbre géographe du 16ème siècle, lorsqu’il s’est vu proposer par son co-producteur espagnol le projet sur Ali Bey. Souheil Ben Barka a joué un grand rôle dans l’émancipation de plusieurs acteurs et réalisateurs au Maroc comme à l’étranger. Pour ses huit longs-métrages, il a fait appel à de grands comédiens marocains (Mohamed Miftah, Hassan Joundi, Abdel Razzak Hakam, Fatima Atif, Adil Abdelwahab, Malika El-Omari...etc), ainsi qu’à un grand nombre d’acteurs étrangers de renommée internationale (Mimsy Farmer, Harvey Keitel, Claudia Cardinale, Claude Rich, Irène Papas, Angela Molina, Marisa Paredès, Miriam Makeba, Florinda Bolkan, Marie-Christine Barrault, Helmut Berger, Max Von Sydow, Fernando Rey, Philippe Léotard, Claude Giraud, Sacha Pitoëff, Irène Papas, Laurent Terzieff, Ugo Tognazzi, F. Murray Abraham, Fernando Rey, Robert Liensol, Douta Seck, Serghei Bondartchouk, Giancarlo Giannini, Massimo Ghini, Philippe Leroy-Beaulieu, Violante Placido, Carolina Crescentini, Rodolfo Sancho, Imanol Arias… etc.). Pour parvenir à faire jouer sur un même film, dans un temps de tournage très restreint, des acteurs de plusieurs nationalités différentes, Souheil Ben Barka adoptera très tôt le parti pris de toujours de filmer les dialogues avec chacun des acteurs parlant dans sa langue natale ; Ce qui oblige à un doublage systématique en plusieurs langues en post-production, doublage par ailleurs nécessaire pour obtenir les différentes versions exigées par les différents pays coproducteurs et pour assurer une large distribution du film à l’international. C’est là aussi une caractéristique du modèle de production de Souheil Ben Barka : « Je tiens à ce que les acteurs jouent dans leur propre langue, pour que leur prestation soit impeccable. Tous mes films sont ainsi. ». Une carrière cinématographique totale : La carrière de réalisateur de Souheil Ben Barka est indissociable de sa carrière de producteur, distributeur, et exploitant de salles. En 1986, alors qu’il menait déjà de front ces différentes carrières, et alors qu’il s’était déjà lancé dans un projet de construction de salles de cinéma dans les principales villes du Maroc à travers la chaîne « Dawliz », il est nommé, directement par Sa Majesté le roi Hassan II, Directeur du CCM, avec la mission de dynamiser l’industrie cinématographique nationale. Cette nomination lui valut des critiques d’une partie de ses confrères du secteur : « Au Maroc, nous avons un grand problème, on n’accepte pas la réussite. Dès que vous réussissez, vous êtes un homme suspect. Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’avant même d’être nommé au CCM, j’étais propriétaire des Dawliz. J’ai aussi demandé à ne pas signer les chèques de l’institution et Sa Majesté a accepté. » Souheil Ben Barka confie volontiers que ses échanges avec les rois Hassan II puis Mohammed VI démontraient clairement leur cinéphilie : « Hassan II regardait un film chaque jour dans sa salle de projection. Il aimait les James Bond. Quant à Mohammed VI, il venait souvent au Dawliz de Casablanca, quand il était prince héritier. Au moment de la mort de son père, Alexandre Arcady tournait un film à Tanger (Là-bas…mon pays, ndlr) et avait besoin de décors de l’armée. En plein deuil, Sa Majesté m’a fait appeler pour me demander si le film rencontrait des difficultés, j’ai répondu que c’était le cas puisque l’armée était à l’arrêt. Le lendemain de cet appel, le réalisateur a pu reprendre son tournage. C’est un roi qui aime le cinéma et qui protège les investisseurs ! ». Nommé initialement pour deux ans, Souheil Ben Barka restera directeur du CCM pendant dix-huit ans. Parmi les actions d’envergure à son actif figure la création et la promotion de studios à Ouarzazate pour développer au Maroc la capacité et la qualité de l’accueil de tournages étrangers, notamment américains. Il a également été producteur exécutif pour le Maroc d'une trentaine de films et séries dont : Gesù di Nazareth de Franco Zeffirelli, Queimada de Gillo Pontecorvo, Le secret du Sahara de Alberto Negrin, La dernière temptation du Christ et Kundun de Martin Scorsese, Gladiator et Black hawk down de Ridley Scott / Sources : L’Opinion (2025) – Souheil Ben Barka, fluide planséquence - Par Anis Hajjam / TelQuel (2019) - Interview de Souheil Ben Barka par Kaouthar Oudrhiri / Al Bayane (2010) – Souheil Ben Barka, le cinéma de la révolte (article faisant suite à l’hommage rendu à Souheil Ben Barka par le festival du cinéma africain de Khouribga) / Le Monde (1975) – Critique de "La guerre du pétrole n'aura pas lieu" de Souheil Ben Barka par Louis Marcorelles / Medi1TV (2019) – Interview de Souheil Ben Barka par Khadija Ihsane / Fiches Africultures, Wikipedia.

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