Ahmed El Maânouni, un cinéaste à la recherche de l’identité marocaine : Auteur, réalisateur, directeur de la photographie et producteur, Ahmed El Maânouni est né à Casablanca en 1944. Il étudie d’abord l’économie à l’Université Paris Dauphine avant de revenir à sa passion, le théâtre, en l’étudiant à l’Université internationale du théâtre de Paris. Pendant ses études de théâtre, il se rend compte que son écriture sous-tend déjà une écriture cinématographique et décide de compléter son parcours par des études de cinéma à l’I.N.S.A.S. en Belgique. Les deux approches, théâtrale et cinématographique, irrigueront toute son œuvre avec des films qui transcendent les catégories et les dichotomies, notamment entre le documentaire et la fiction. Pendant ses études en Europe, dans les années 1970, il prend conscience de la naissance de la figure de « l’immigré » dans le regard occidental aux relents coloniaux sur les communautés maghrébines. De là nait l’urgence d’aller comprendre ce qui cause l’exil de l’autre côté de la Méditerranée. A cette préoccupation s’ajoutera la quête d’une représentation plus respectueuse et plus juste d’une identité marocaine captée dans la vérité de sa vivacité et de sa dynamique, plutôt que figée dans un regard fantasmé et condescendant hérité de la colonisation. Encore aujourd’hui, il constate : « nous souffrons, nous les Marocains, de ne pas nous rencontrer assez à l’écran. Notre image, nous la voyons trop rarement, ou alors à travers des regards biaisés, déformés, parfois folklorisés. Or, nous avons un besoin vital de nous confronter à cette image véritable : pour mieux nous connaître, pour prendre conscience de nos forces mais aussi de nos fragilités, et à partir de là, pouvoir évoluer et nous épanouir ». Dans cette quête cinématographique, il reconnaît volontiers sa préférence pour la démarche documentaire qui « même lorsqu’elle s’inscrit au cœur d’un film de fiction — est sans doute la voie la plus noble du cinéma. » Son premier long-métrage, ALYAM ALYAM (1978), bien qu’il s’agisse d’une fiction, traduit bien la recherche de vérité du réalisateur puisqu’il a émergé de ses rencontres dans le milieu agricole marocain. En racontant la soif d’exil dans un village agricole de la région de Casablanca, le film traduit aussi ce que le cinéaste appelle « la perte de l’espoir dans son horizon naturel ». Le film sera le premier long-métrage marocain à être sélectionné au prestigieux festival de Cannes (dans la catégorie Un Certain Regard). En 1981, il réalise EL HAL (TRANSES), sur le célèbre groupe Nass El Ghiwane, un essai documentaire devenu culte et encore aujourd’hui régulièrement célébré. A travers le portrait des quatre musiciens troubadours, il réalise aussi en filigrane celui de toute une génération de marocains dont les souffrances et les aspirations se retrouvent dans les chansons du groupe et se révèlent dans la ferveur des concerts. Mêlant dans un savant collage captations de concerts, images d’archives, séquences filmées au naturel et séquences théâtralisées, il s’impose vite comme le documentaire de référence dans le cinéma marocain, celui qui a su capter l’âme du Maroc. Découvert plus tard par Martin Scorcese, il sera le premier film rénové par sa « World Cinema Foundation » qui a vocation à préserver et restaurer des films de patrimoine du monde entier. La version ainsi restaurée du film sera projetée au festival de Cannes dans la catégorie « Cannes Classics » en 2007. Il demeure jusqu’à aujourd’hui l’un des films marocains les plus diffusés à l'international. Plus tard, ALYAM ALYAM sera également restauré par la World Cinema Foundation. Ahmed El Maânouni dirigera ensuite en 2007 « LES CŒURS BRULES », un long-métrage de fiction d’inspiration autobiographique qui décrochera le Grand Prix au Festival national du film à Tanger ainsi que de nombreux prix internationaux. Sa dernière fiction en date est une comédie intitulée FADMA (2016) qui a remporté le prix de la meilleure réalisation au festival national du film de Tanger. Ahmed El Maânouni a par ailleurs été Directeur de la photographie sur de nombreux films. Il a également écrit, mis en scène et tourné plusieurs productions pour le théâtre et la télévision. Il a notamment réalisé plusieurs sur l’histoire contemporaine et coloniale du Maroc, en interrogeant son impact sur la mémoire du pays. Parmi eux, la trilogie FRANCE-MAROC, UNE HISTOIRE COMMUNE, qui explore le rôle paradoxal de la colonisation du Maroc par la France : le cinéaste voit « à la fois le malheur de la colonisation et l’hégémonie française dans l’éveil d’un sentiment national. Avant le Protectorat, à l’époque de l’Empire chérifien, l’idée d’appartenir à une « nation » était presque inexistante. C’est dans l’épreuve que ce sentiment a émergé et qu’il s’est cristallisé ». Le dernier volet de la trilogie s’intéresse aussi à l’impact de cette Histoire sur le présent en explorant la double culture dont la jeunesse marocaine a hérité des liens historiques entre les deux pays. Le documentaire LES GOUMIERS MAROCAINS (1992) se concentre quant à lui sur la part sombre de la colonisation en revenant sur le lourd bilan humain de la conquête militaire du Maroc par la France et sur l’histoire bouleversante des soldats marocains envoyés défendre les intérêts français durant les deux guerres mondiales. Figure également parmi ses documentaires CONVERSATIONS AVEC DRISS CHRAÏBI, portrait filmique du célèbre écrivain marocain décédé quelques mois après la fin du tournage, avec qui il partageait ses interrogations sur ce que sont ou ce que peuvent être l’identité et les imaginaires marocains, toujours à revers des représentations occidentales. Parallèlement à sa carrière, Ahmed El Maânouni dirige différents groupes d’études et programmes d’enseignement dans le monde. En 2007, il a été nommé en France au titre d'officier de l’Ordre des arts et des lettres. Parmi ses projets en cours de développement figurent un film sur l’aviatrice Touria Chaoui et un autre consacré au peintre Abdelkebir Rabi. Source : Interview accordée par Ahmed El Maânouni à CHEMINEZ en septembre 2025